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Le rejet du déféré-nullité à l’encontre d’une ordonnance de radiation pour défaut d’exécution

  • JD
  • 27 nov. 2015
  • 7 min de lecture

L’article 916 du code de procédure civile dispose :


« Les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d'aucun recours indépendamment de l'arrêt sur le fond.


Toutefois, elles peuvent être déférées par simple requête à la cour dans les quinze jours de leur date lorsqu'elles ont pour effet de mettre fin à l'instance, lorsqu'elles constatent son extinction, lorsqu'elles ont trait à des mesures provisoires en matière de divorce ou de séparation de corps, lorsqu'elles statuent sur une exception de procédure, un incident mettant fin à l'instance, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou la caducité de celui-ci ou lorsqu'elles prononcent l'irrecevabilité des conclusions en application des articles 909 et 910. »


Bien des plaideurs, malgré tout, tentent d’ouvrir des voies de droits pour contourner cet interdit. L’une des tentatives les plus audacieuses est celle de la pratique jurisprudentielle du recours-nullité, par la voie du déféré-nullité. Celui-ci pour autant est strictement encadré par une double condition :

  • Il ne doit exister aucune voie de recours ouverte à l’encontre de la décision,

  • Il doit être démontré un excès de pouvoir de la juridiction ayant statué.


Plus précisément, c’est à l’occasion d’une ordonnance prononçant la radiation pour défaut d’exécution provisoire sur le fondement de l’article 526 du code de procédure civile et condamnant l’une des parties sur le fondement de l’article 700 du même texte, que la question se pose.


1. L’argumentation de l’intimée en défense sur la radiation et en demande sur le déféré-nullité


Les motifs invoqués en sont assez simples et tendent au cumul de deux régimes juridiques, distincts et opposés, affectant les dispositions de l’ordonnance de radiation.


D’une part, l’article 537 du code de procédure civile dispose :


« Les mesures d’administration judiciaire ne sont sujettes à aucun recours. »


Or l’article 383 al. 1 du même texte précise :


« La radiation et le retrait du rôle sont des mesures d’administration judiciaire. »


Dès lors, peu importe le fondement de l’ordonnance de radiation, qu’il s’agisse de la sanction d’un défaut de diligence procédurale des parties telle que prévue par l’article 381 du texte ou un défaut d’exécution de la décision entreprise, le prononcé de la radiation reste et demeure une mesure d’administration judiciaire sans recours. Le réenrôlement n’étant possible qu’après justification de la réalisation de la diligence, qu’elle soit procédurale ou d’exécution.


D’autre part, l’article 700 du code de procédure civile fixe bien en termes de condamnation, le montant des frais irrépétibles qu’il attribue à une partie :


« Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :


1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Néanmoins, s'il alloue une somme au titre du 2° du présent article, celle-ci ne peut être inférieure à la part contributive de l'État. »


En l’état de ce texte, une telle condamnation par la juridiction s’analyse en une décision relevant d’un pouvoir purement juridictionnel. C’est à tout le moins, le point essentiel soutenu par les plaideurs, dans le cadre du déféré-nullité, pour justifier l’existence d’un excès de pouvoir du Conseiller de la mise en état.


En conséquence, l’argument invoqué relève que l’ordonnance de radiation est une mesure d’administration judiciaire par nature dénuée de pouvoir juridictionnel, de sorte qu’il ne peut être statué sur une demande purement juridictionnelle concernant les frais irrépétibles au sein de la même décision. Plus techniquement encore, une décision non juridictionnelle ne peut pas statuer, même partiellement, sur un dispositif juridictionnel.


Or si le Conseiller de la mise en état n’a pas de compétence juridictionnelle pour accueillir la demande de radiation, il ne peut plus accueillir, par suite, la demande au titre des frais irrépétibles.


Bien entendu, cela attise l’intérêt unilatéral de l’intimé, puisque selon ce même raisonnement, la solution est inverse dès lors que la demande de radiation est rejetée. En effet, en l’absence de radiation, l’intimé sollicite d’ordinaire, une évidente condamnation de l’appelant au titre des frais irrépétibles…


2. L’argumentation de l’appelant en demande sur la radiation et en défense sur le déféré-nullité


Pour s’opposer à un tel mécanisme manifestement déséquilibré, l’appelant ne peut qu’invoquer les arguments de pur droit et mettre l’intimé en porte à faux sur ses propres demandes contradictoires.


Ainsi, soit la décision est juridictionnelle et relève de l’article 916 al. 1° du code de procédure civile, soit elle est une mesure d’administration judiciaire et relève de l’article 383 al. 1° du même texte. Dans les deux cas, le déféré est irrecevable mais seul le cas de la mesure d’administration judiciaire suppose l’analyse des pouvoirs du Conseiller de la mise en état.


a. L’argumentation sur la décision juridictionnelle


D’une part, tel qu’il l’a été précisé, l’article 916 al. 1° du code de procédure civile dispose :


« Les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d'aucun recours indépendamment de l'arrêt sur le fond. »


Dès lors, au premier titre, les plaideurs relèvent que l’existence d’une voie de recours à l’encontre de l’ordonnance du Conseiller de la mise en état, fût-elle conditionnelle, interdit tout recours-nullité. À l’évidence, au regard de ce texte, la radiation prononcée par ordonnance peut faire l’objet d’un recours. Celui-ci se fait dans des formes et conditions de droit. Il est certes différé jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel statuant sur le litige entre les parties mais il demeure ouvert.


Ce qui pose alors une difficulté, c’est la temporalité de ce recours. Sauf matières spécifiques, l’arrêt de la Cour d’appel est exécutoire de plein droit. Or, à l’évidence, dès lors que la Cour d’appel statue sur le fond du litige, la question du recours à l’encontre de l’ordonnance de radiation pour défaut d’exécution provisoire est vidée de tout intérêt.


En effet, l’intimé qui subit la radiation pour défaut d’exécution doit s’acquitter, lui-même, de l’exécution de la décision de première instance qu’il conteste afin de pouvoir faire valoir ses droits devant la Cour d’appel. En se soumettant à sa propre obligation, il s’ouvre le droit d’obtenir un arrêt statuant au fond qui supplante l’ordonnance de radiation.


Cette solution apparaît alors comme un recours purement fictif pour les ordonnances de radiation sur le fondement de l’article 526 du code de procédure civile. Certes, le recours est ouvert suivant condition, mais les conditions sont telles qu’elles privent le recours de tout intérêt.


À ce titre, il convient d’observer que ce n’est pas une situation unique pour autant. Les règles du procès équitable sont bien souvent, et très ouvertement, vidées de leur contenu en raison de la nature même des conditions de leur application. C’est ce que la Cour Européenne des Droits de l’homme et du Citoyen considère comme des exceptions spécifiques justifiant l’existence du procès équitable.


Ainsi, le sens de la radiation pour défaut d’exécution est précisément de contraindre l’intimé défaillant à s’exécuter pour avoir l’opportunité de faire valoir ses droits devant la Cour d’appel. C’est une pure analogie du principe de loyauté, telle que prévue par le dispositif du procès équitable. C’est en se soumettant à ses propres obligations que l’on devient légitime à faire valoir ses propres droits.


b. L’argumentation sur la mesure d’administration judiciaire


D’autre part, les plaideurs, peut-être plus rigoureux, rappellent que l’ordonnance de radiation pour défaut d’exécution est une mesure d’administration judiciaire et relève à ce titre de l’article 383 al. 1° du même texte. Ils demeurent alors bien souvent contraints d’admettre que la seule condition d’un excès de pouvoir peut justifier l’ouverture du déféré-nullité.


Toutefois, une discussion sur les compétences juridictionnelles du Conseiller de la mise en état statuant sur un incident de radiation au titre de l’article 526 du code de procédure civile est extrêmement périlleuse et incertaine. Il paraît alors plus sage d’analyser le chef de demande du plaideur au titre des frais irrépétibles.


Or une telle demande est, par nature, accessoire à la demande formulée au principal. En effet, il est à rappeler que, de droit constant, la demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile n’a pas le caractère d’une demande incidente dès lors qu’elle ne tend qu’à régler les frais de l’instance auxquels est tenue la partie et n’implique pas, pour la juridiction, la nécessité d’examiner le fond. (Cass. 2° civ. 10/12/86, Bull. civ. II n°179)


Ainsi, la demande de condamnation au titre des frais irrépétibles est une demande purement accessoire à la demande de radiation pour défaut d’exécution. Or, dès lors que la demande principale est accueillie par le Conseiller de la mise en état, la question sur la nature du dispositif ne se pose plus puisque par nature, le principal l’emporte sur l’accessoire.


Par conséquent, même si une ordonnance d’incident prononce une mesure d’administration judiciaire, elle n’est pas, en soi et par nature, dénuée de toute influence juridictionnelle.


Cela résulte bien entendu de la possibilité d’une condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Cela résulte également aussi de la nature même de la décision prise par la juridiction, puisque celle-ci doit, par nécessité, opérer un choix lorsqu’elle accueille ou non la demande de radiation.


En ce sens, la mesure d’administration judiciaire n’est donc pas une décision non juridictionnelle mais une décision dont le régime juridique spécifique la prive d’effet juridictionnel. C’est une variation subtile mais néanmoins fondamentale entre l’influence juridictionnelle et l’incidence juridictionnelle.


C’est en ce sens que statuant par arrêt sur déféré-nullité du 26/11/15, la Cour d’appel d’Aix en Provence s’est prononcée en faveur de cette dernière argumentation. Elle relève ainsi :


« La demande de radiation présentée par [l’appelante] sur le fondement de l’article 526 du code de procédure civile, au motif du défaut d’exécution par [l’intimée] du jugement du 10 janvier 2014 assorti de l’exécution provisoire, a donné lieu au prononcé par le Conseiller de la Mise en État d’une radiation par l’ordonnance d’incident du 20 mai 2015 qui est une mesure d’administration judiciaire dépourvue de caractère juridictionnel.


Conformément aux articles 383 alinéa 1 et 537 du même Code une telle décision n’est sujette à aucun recours tel qu’un déféré devant la Cour. Le déféré de [l’intimée] est donc rejeté.


La condamnation prononcée par le Conseiller de la Mise en État au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile n’est qu’un accessoire à sa décision de radiation, et le caractère non juridictionnel de celle-ci concerne également celle-là ; par suite c’est à tort que [l’intimée] demande à la Cour, sur le fondement du déféré-nullité, d’annuler cette condamnation. »

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