L'indisponibilité de l'avocat : un cas de force majeure qui s'impose dans la procédure d'appel
- Julien DESOMBRE
- 8 juin 2023
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 mai
L'arrêt du 17 mai 2023 de la Cour de cassation en sa deuxième chambre a suscité un grand intérêt au sein de la profession d'avocat. Cette décision, qui clarifie les conditions d'application de la force majeure en matière de procédure civile, a des conséquences tout à fait significatives sur la pratique quotidienne des avocats, et notamment des avocats postulants.
Le contexte antérieur à l’arrêt du 17 mai 2023
Selon l'article 910-3 du code de procédure civile, un cas de force majeure est constitué par une circonstance non imputable à la partie qui l'invoque et qui revêt un caractère insurmontable. Ainsi, lorsqu’elle est reconnue, la force majeure permet au magistrat d’écarter le couperet aveugle et définitif des sanctions de la procédure d’appel.
Plusieurs arrêts de la Cour de cassation viennent apporter des limites à ce principe, dont celui du 25 mars 2021 (Pourvoi n°20-10.654) et celui du 02 décembre 2021 (Pourvoi n°20-18.732). Ces arrêts ont souligné l'importance de l'appréciation in concreto de la force majeure, en se concentrant notamment sur l'état de santé de l'avocat empêché de conclure dans les délais.
En effet, avant cet arrêt du 17 mai 2023, la jurisprudence était plutôt restrictive s’agissant d’assimiler l'empêchement de conclure dans les délais à un cas de force majeure. Les avocats devaient justifier de leur état de santé empêchant la notification des conclusions dans le délai imparti et prouver qu'aucune personne ne pouvait les suppléer pendant cette période précise.
Si le premier point pouvait très simplement être justifié, par exemple, par la production de certificats médicaux, la preuve du second en revanche constituait un véritable défi puisque le justiciable se voyait régulièrement opposer l’argument massue de l’interchangeabilité des avocats, et notamment en matière de postulation.
Constitue un tel cas de force majeure en procédure civile, la circonstance non imputable au fait de la partie et qui revêt pour elle un caractère insurmontable.
En d’autres termes, cette solution antérieure était fondée sur la négation pure et simple de la relation de confiance fondamentale qui se noue entre un justiciable et son avocat.
Fort heureusement, quelques audacieux magistrats de Cour d’appel ont progressivement pris la mesure des alertes lancées par les avocats postulants. Ainsi, une pensée juridique plus saine, venant protéger les justiciables autant que les professionnels, est timidement apparue. Deux arrêts, en particulier, illustrent fort bien cette prise de conscience.
D’une part, l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy du 14 octobre 2021 (RG n°21/01616) :
«Il est ainsi démontré que Me G… n'a pas pu conclure entre le 26 février et le 16 mars 2021, terme du délai qui lui était imparti pour ce faire. On ne peut non plus lui reprocher de ne pas avoir conclu plus tôt, entre le 16 et 26 février 2021, car comme Me G… le souligne à juste titre, une hospitalisation pour dépression est toujours précédée d'une phase de maladie incapacitante.
La circonstance que le cabinet au sein duquel travaille Me G… emploie plusieurs avocats n'enlève rien au caractère insurmontable de l'empêchement dans lequel il s'est trouvé de produire des conclusions dans les délais, car cette pluralité d'avocats au sein du cabinet ne permet pas de présumer que tous ces avocats ont des compétences juridiques interchangeables et peuvent se substituer les uns les autres au pied levé.
Enfin, il convient de souligner le délai particulièrement bref (un mois) imparti par l'article 905-2 du code de procédure civile, applicable en l'occurrence. Si un délai de trois mois peut faciliter le remplacement d'un confrère au sein d'un cabinet comprenant plusieurs avocats, il est compréhensible que la brièveté d'un délai d'un mois seulement ne le permette pas.»
D’autre part, l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence du 10 février 2023 (RG n°22/08484) :
«[…]les difficultés personnelles de santé de Me B… aggravées à compter de juin 2022 en raison de celles de son fils décédé le 11 septembre 2022 associées à l'indisponibilité partielle de ses collaboratrices pour arrêt maladie notamment durant la période concernée dans la gestion d'un cabinet constitué d'un seul avocat, suppléé à compter du 7 septembre 2022, soit postérieurement à l'expiration du délai légal pour conclure, constituent un cas de force majeure permettant d'écarter la sanction d'irrecevabilité des conclusions de l'intimé tardivement notifiées le 9 novembre 2022.»
Si la Cour d’appel de Nancy admet l’indisponibilité de l’avocat pour la période antérieure, autant que pour la période concernée par le délai, elle limite malgré tout sa motivation. Elle retient en effet que l’interchangeabilité de l’avocat n’est justifiée qu’en raison du bref délai de la procédure. De même, la Cour d’appel d’Aix en Provence n’a retenu l’indisponibilité de l’avocat empêché qu’en raison de l’indisponibilité concomitante de ses collaboratrices. Un soupçon d’espoir mais trop de frilosité…
L’importance de l’arrêt du 17 mai 2023
Soumise à la difficulté, et aux irritations croissantes de la profession d’avocat, la Cour de cassation s’est prononcée, par arrêt du 17 mai 2023 (Pourvoi n°21-21.361) dans les termes suivants :
«Vu l'article 910-3 du code de procédure civile :
Constitue, au sens de ce texte, un cas de force majeure la circonstance non imputable au fait de la partie qui l'invoque et qui revêt pour elle un caractère insurmontable.
Pour déclarer caduque la déclaration d'appel remise par Mme G… le 22 décembre 2020, l'arrêt retient que les conditions de la force majeure ne sont pas réunies dès lors que l'indisponibilité de l'avocat de l'appelante, qui n'a été hospitalisé qu'une journée et n'a subi qu'une fracture de l'auriculaire et de l'annulaire droits, a été inférieure à celle du délai pour conclure, qui expirait le 22 mars 2021, le cabinet étant en outre composé de deux avocats.
En se déterminant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'avocat avait remis un certificat médical établissant qu'il s'était trouvé dans l'incapacité d'exercer sa profession entre le 15 février et le 15 avril 2021, soit pendant la période au cours de laquelle le délai de dépôt du mémoire avait expiré, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.»
Cet arrêt de la Cour de cassation revêt une importance considérable pour les avocats et leur pratique quotidienne. Il apporte des clarifications précieuses quant aux critères d'appréciation de la force majeure et à l'absence de responsabilité du justiciable qui maintient sa confiance en son avocat malgré son indisponibilité connue.
En premier lieu, la Cour de cassation rappelle que si la durée de l'indisponibilité de l'avocat doit être prise en compte pour évaluer l'existence d'un cas de force majeure, il n’en demeure pas moins que même inférieure au délai imparti, cette indisponibilité peut constituer un obstacle insurmontable pour l'exercice des fonctions de l'avocat.
Tout d'abord, cet arrêt renforce la position des avocats lorsqu'ils invoquent un cas de force majeure pour justifier un dépassement de délai ou une impossibilité d'accomplir certaines tâches procédurales. Il reconnaît que des circonstances imprévues et insurmontables peuvent survenir dans la vie professionnelle des avocats, et que ces situations doivent être prises en compte de manière adéquate.
De plus, cet arrêt rappelle aux avocats l'importance de fournir des preuves tangibles de la force majeure qu'ils invoquent. En produisant un certificat médical ou toute autre documentation appropriée établissant l'incapacité à exercer la profession pendant une période précise, l'avocat peut renforcer la légitimité de son argumentation et renforcer sa position.
En second lieu, la Cour de cassation a également souligné l'absence de responsabilité de la partie qui ne change pas d'avocat malgré son indisponibilité connue. Elle a pris en considération la relation entre l'avocat et son client ainsi que la volonté de maintenir cette relation lors d'une période temporaire d'indisponibilité de l'avocat exerçant la postulation.
Ce faisant, la Cour de cassation met en lumière l'importance de la relation de confiance entre l'avocat et son client. L’arrêt reconnaît ainsi que, dans certaines circonstances, le justiciable est légitime à maintenir ce lien de confiance plutôt que de chercher un nouvel avocat, pendant une période d'indisponibilité temporaire.
De fait, la partie ne peut être tenue responsable des conséquences découlant de l'indisponibilité de son avocat postulant dès lors que cette indisponibilité est justifiée et documentée. Cette approche permet de préserver la continuité dans la gestion du dossier juridique et favorise une meilleure collaboration entre l'avocat et son client.
Il en résulte une certaine sécurité juridique pour les avocats et leurs clients qui peuvent continuer à travailler ensemble en toute confiance, sans craindre d'éventuelles conséquences négatives sur le déroulement de la procédure.
En troisième lieu, la Cour de cassation du 17 mai 2023 a apporté une nouvelle interprétation de la force majeure en précisant que la durée de « l'indisponibilité de l'avocat » n'est pas en soi un critère déterminant. En effet, la Cour exclue la contrainte d’une limitation physique dans l’exercice de postulation. Ce faisant, elle précise que c’est désormais « l'incapacité d'exercer la profession » pendant la période où le délai de dépôt des conclusions a expiré qui constitue une circonstance insurmontable.
Ainsi, même si l'avocat n'a été empêché qu'une journée, la force majeure peut être reconnue dès lors que son incapacité à travailler persiste pendant le délai imparti.
Cette solution est d'autant plus importante lorsque le cabinet d'avocats est composé de plusieurs membres. Désormais, l'argument selon lequel d'autres avocats, et notamment des avocats postulants, peuvent prendre le relais facilement n'est plus présumé valable. Il est admis que chaque avocat dispose de compétences spécifiques et ne peut être remplacé sans préparation adéquate.
L'arrêt du 17 mai 2023 renforce ainsi la protection des avocats, plaidants comme postulants, confrontés à des difficultés de santé ou bien entendu à toutes autres circonstances exceptionnelles.
En effet, il est également important de souligner que cette décision concerne non seulement les cas d'indisponibilité liés à la santé des avocats, mais également d'autres circonstances insurmontables. Par exemple, des événements imprévisibles tels que des catastrophes naturelles, des accidents graves, ou des situations personnelles graves. Toutes peuvent être considérées comme des cas de force majeure et la jurisprudence en la matière se développe progressivement pour tenir compte de ces différentes situations.
En conclusion
En définitive, l'arrêt du 17 mai 2023 de la Cour de cassation est salué par la profession d'avocat car il apporte une clarification réellement utile sur l'appréciation de la force majeure en matière de procédure civile. Les avocats peuvent désormais s'appuyer sur cette jurisprudence afin de justifier un retard légitime dans la notification des conclusions.
Cette nouvelle interprétation de la force majeure permet de prendre en compte les réalités individuelles et de faire preuve de plus de souplesse dans l'appréciation des circonstances exceptionnelles.
Pour autant, cet arrêt ne donne pas carte blanche aux avocats pour invoquer la force majeure à tout moment. Les circonstances invoquées doivent être réelles, insurmontables et documentées de manière adéquate. Les avocats doivent exercer leur profession avec intégrité et transparence, en fournissant des preuves convaincantes pour justifier leur demande de prise en compte de la force majeure.
Il en découle à l’évidence une certaine sécurité juridique pour les justiciables qui n’ont pas à connaître les contingences de leur avocat. Corollairement, il en découle également un grand soulagement des avocats dont la responsabilité professionnelle pourra valablement être épargnée par la reconnaissance des réalités et contraintes auxquelles ils peuvent être confrontés dans leur propre quotidien.
Finalement, l’avocat est une fonction… où se dissimule malgré tout un être humain.